Taj Mahal : la photo au delà du cliché
Taj Mahal : la photo au-delà du cliché
Quelle est pour moi la photo marquante de 2022 ? Un indien contemplant le Taj Mahal. Retour sur cette photo au carrefour d’une conjoncture malheureuse.
Le Taj Mahal, au défi du cliché
Le Taj Mahal est pour beaucoup, à l’instar de la Tour Eiffel, une carte postale. C’est aussi une sorte de cliché pour invoquer le sublime et le merveilleux. La plupart d’entre nous rencontre d’abord le Taj Mahal à travers des photographies. Je l’ai découvert sur un ouvrage de Paul Théroux, « The Imperial Way, by Rail from Peshawar to Chittagong »[1]Paul Théroux, « The Imperial Way, by Rail from Peshawar to Chittagong », 2. India, Page 76, Houston Mifflin Company, Boston, 1985. puis sur celui de Raghu Rai, «Taj Mahal »[2]Raghu Rai, « Taj Mahal », Times Editions, 1989.. Des photographes de renom l’avaient donc capturé. Des millions de touristes l’avaient aussi photographié. J’approchais donc l’enceinte du Taj Mahal avec une bonne dose d’appréhension et une petite dose d’espoir.
Comment donc, en effet, ne pas se vautrer dans la banalité ? Aurai-je la chance, comme Steve McCurry de voir passer une vieille locomotive au moment opportun (Taj and Train) ? Aurai-je la chance comme Raghu Rai de tomber sur un crâne humain (voir à ce propos Taj Mahal de Raghu Rai) ? Aurai-je la chance de saisir quelque chose d’incongrue ? Une anomalie dans le champ de mon objectif ? Quelque chose de surprenant ?
Le saviez- vous ? Le vendredi, le mausolée est toujours fermé
La première chose surprenante fut surtout d’apprendre que les portes du Taj Mahal fermaient toujours boutique le vendredi. Me voilà bien ! Je devais repartir le soir même en train pour Vrindavan. Autre déconvenue de taille, quand je suis arrivé très tôt sur les lieux, un brouillard aussi épais que du coton avait nappé le Taj Mahal. On n’y voyait rien sauf du blanc lactescent à la ronde. Le mausolée était totalement invisible. Je compris pourquoi, il n’y avait pas un chat. Imbécile que j’étais !
J’aperçus un gardien sikh, stoïque comme un soldat de plomb. Lorsque je lui demandais à quelle heure le brouillard se dissiperait, il m’informa que le Taj Mal ne serait visible, comme d’habitude, vers 9h30. A cette heure, le soleil surplomberait presque le monument au zénith. C’était raté pour la belle lumière matinale.
Le Taj Mahal loin des yeux pour apaiser le spleen de Shâh Jahan
C’est l’empereur moghol musulman Shâh Jahân qui avait commandé la construction de ce tombeau de marbre blanc. L’homme voulait honorer la mémoire de sa deuxième femme Mumtaz Mahal mort en couche. Une bagatelle équivalente d’un milliard d’euros et 22000 esclaves[3] Julien Bouissou, « Le patriarcat gravé dans le marbre du Taj Mahal », Le Monde, 07 avril 2015. furent nécessaires pour mener à terme ce projet mégalomaniaque.
Mughal Emperor Shah Jahan standing on a globe
Miniature de la bibliothèque Chester Beatty
Il n’aura cependant jamais l’occasion de pénétrer dans le mausolée de sa femme. Malade, il sera assigné à résidence, par son fils Aurangzeb, dans le fort d’Agra jusqu’à la fin de ses jours[4]Fergus Nicoll, « Shah Jahan: The Rise and Fall of the Mughal Emperor Hardcover », Haus Publishing, 2009.. Seul, une fenêtre dans sa chambre, lui permettra de contempler au loin le mausolée de sa défunte épouse.
Le Taj Mahal loin de mes yeux pour apaiser ma frustration
Cette petite parenthèse historique me semblait nécessaire pour entrer en résonnance avec ce qui suit. Dépité par cette conjoncture malheureuse de calendrier et de météo, j’ai donc abandonné l’idée de photographier le Taj Mahal. Mon hôtel était de l’autre côté du fleuve Yamuna. Il était 8h00. Je fis un détour pour déambuler dans le jardin très sobre de Methtab Bagh. Je pris le parti de m’amuser à photographier les arbres dans le brouillard. Une pointe de frustration me titillait tout de même l’esprit.
Et puis, j’ai soudain repéré cet arbre. Sous son ombrage, un banc. Et sur le banc, un contemplateur. Que regardait-il ? Et là, pour la première fois, je découvrais le mausolée de marbre blanc de l’empereur musulman Shâh Jahân. L’édifice apparaissait doucement dans l’agonie du brouillard matinal !
Contemplation lointaine
Quel tableau magnifique ! Un homme en rouge sur le bord d’un banc, un brouillard moins opaque à l’horizon, un arbre majestueux dans son silence et sa solitude, la zone désherbée sous l’ombrage de celui-ci, et puis en fond, le Taj Mahal. Tendu comme une biche nerveuse qui a léché une prise dénudée de 220 volts, je cadrai la scène.
J’en ai connu des accidents de photographie. Un camion impromptu qui passe, un flou de bougé qui fout la photo en l’air, un problème de batterie, une carte perdue… Je priais tout le panthéon hindou de me préserver de ces maudits aléas. Je pris dix photos. Variant avec parcimonie le cadrage.
Le Taj Mahal était certes un peu loin. Tant pis… Comme l’empereur musulman Shâh Jahân, je ne l’aurai finalement jamais vu de près.
Texte et photos : Serge BOUVET
Références
↑1 | Paul Théroux, « The Imperial Way, by Rail from Peshawar to Chittagong », 2. India, Page 76, Houston Mifflin Company, Boston, 1985. |
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↑2 | Raghu Rai, « Taj Mahal », Times Editions, 1989. |
↑3 | Julien Bouissou, « Le patriarcat gravé dans le marbre du Taj Mahal », Le Monde, 07 avril 2015. |
↑4 | Fergus Nicoll, « Shah Jahan: The Rise and Fall of the Mughal Emperor Hardcover », Haus Publishing, 2009. |